Le sparadrap du Capitaine Haddock

sparadrap-capitaine-hadock-jpg Cet article a été publié dans la Semaine du Pays Basque

Le 19 Décembre dernier, Mme Christine Lagarde, Ministre des Finances de 2007 à 2011, a été reconnue par la Cour de Justice de la République (CJR) coupable de « négligence » ayant permis un détournement d’argent public, mais elle n’a pas été condamnée. Pour comprendre cette histoire kafkaïenne, il faut changer de perspective.

Christine Lagarde, ancien ministre des finances, a fait une exceptionnelle carrière d’avocate internationale, culminant avec la présidence du cabinet Baker & McKenzie à New York, l’un des plus gros cabinets d’avocats mondiaux. Nicolas Sarkozy la nomme ministre des finances à l’été 2007. Un an plus tard, lorsque se déclare la pire crise financière depuis 1929, les « subprime », Christine Lagarde s’avère la femme de la situation. Son action fut remarquable et remarquée des Européens et des Américains : c’est tout naturellement qu’elle est nommée Directrice Générale du Fonds Monétaire International (FMI) lorsque la place se libère.

Pourquoi la ministre se retrouve-t-elle impliquée dans un conflit entre un homme d’affaires et une banque? Parce que cette banque, le Crédit Lyonnais (CL), avait été nationalisée en 1981, parce qu’elle a fait faillite en 1993 et que son passif a été repris par l’Etat. Dans les placards, le contentieux avec B. Tapie qui, non sans quelques solides arguments, dit avoir été escroqué par le CL. Pour mémoire, la faillite du Crédit Lyonnais est l’un des plus grands scandales financiers de l’histoire : il nous a coûté, nous contribuables, 15 milliards d’Euros.

Qui a présidé à ce désastre ? Jean-Yves Haberer, haut-fonctionnaire, major de sciences-po, sorti 2° de l’ENA. En 1978, il est nommé Directeur du Trésor, probablement le fonctionnaire le plus puissant : un homme du sérail, ce que la fonction publique produit de mieux. Jugé responsable, M. Haberer a été condamné à 18 mois de prison avec sursis et à des dommages et intérêts : 1€. Ca parait peu, mais au Trésor, ça choque.

En 2008, alors que la finance mondiale menace d’imploser, le dossier Tapie est comme le sparadrap du capitaine Haddock. Ca fait déjà 15 ans qu’il nous colle au doigt et on n’arrive pas à s’en défaire. L’affaire compte une dizaine de procédures distinctes. A 30 millions d’€ l’an, les frais d’avocat de l’Etat dépassent la somme qui sera allouée à M. Tapie (404 M€). Sans parler des intérêts qui courent : une plaie purulente.

Le métier d’un avocat est de mettre fin à des contentieux. En bon chef d’entreprise, Mme Lagarde sait aussi qu’un mauvais compromis vaut mieux qu’un bon procès. Elle se rallie donc à l’idée d’un arbitrage, solution en principe rapide, peu coûteuse et sans appel. C’est le référentiel de la vraie vie, celui du monde marchand, qui est ici à l’oeuvre.

Ce qui est passionnant dans ce dossier, c’est que le procureur de la République a demandé la relaxe. Autrement dit, l’Etat considère que Mme Lagarde est innocente des faits de « négligence » qui lui sont reprochés. Cette affaire est donc politique, mais elle ne se lit pas selon le clivage droite-gauche.

En effet, qui sont ses juges ? Des fonctionnaires. La CJR est composée de 15 juges (dont 12 parlementaires) : neuf ont le statut de fonctionnaire, les six autres ont environ trente ans de politique au compteur. Les derniers qui les ont vu travailler, c’est à dire avoir une activité assujettie à la TVA, ne sont pas jeunes !

Sans procureur, qui se fait l’accusateur public ? Bruno Bezard, polytechnicien, major de l’ENA, Directeur du Trésor de 2014 à 2016. A la barre, il délivre son réquisitoire, expliquant pourquoi, dans son référentiel de fonctionnaire, il fallait continuer à dépenser l’argent des impôts et ne jamais accepter la responsabilité des fonctionnaires (donc défendre la virginité de la Direction du Trésor). Ainsi, Mme Lagarde, membre de la société civile comme vous et moi, est accusée par un fonctionnaire devant un tribunal de fonctionnaires d’avoir pris une décision dans le référentiel du monde marchand. Car on pense différemment selon que l’on a l’habitude de dépenser son argent ou celui des autres.

Qui a initié cette action ? Un autre fonctionnaire et Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Pourquoi ? Parce qu’alors, en 2014, commençaient les grandes manoeuvres pour la présidentielle 2017. Or Mme Lagarde est un vrai danger public. Imaginez une femme de son talent, la première française de l’histoire ayant rang de chef d’Etat en sa qualité de Directrice du FMI, ayant une expérience politique internationale à faire pâlir d’envie les haut-fonctionnaires qui se poussent du col dans les primaires de droite et de gauche. Un gros risque pour le clan des fonctionnaires. Il était temps de s’occuper de son cas.

Ainsi, ce procès grotesque, fait à l’un des ressortissants français les plus respectés sur la scène mondiale, s’analyse comme une maneouvre de plus du clan des fonctionnaires (qui détient tous les pouvoirs en France[1]) pour dégouter tout non-fonctionnaire de se présenter en politique.

Le problème est que Mme Lagarde vient juste d’être triomphalement réélue à la tête du FMI et que si elle a un casier judiciaire, elle perd son job. Or, avec l’élection de Donald Trump, personne ne veut rouvrir le dossier de la présidence du FMI. Donc elle est déclarée coupable mais pas condamnée.

« Christine Lagarde exerce son mandat au FMI avec succès et le gouvernement maintient toute sa confiance en sa capacité à y exercer ses responsabilités » énonce le fonctionnaire et ministre des finances, Michel Sapin, à l’issue du procès. Traduisez : vous n’êtes pas fonctionnaire, on ne veut pas de vous en politique en France, mais continuez à bien nous représenter sur la scène mondiale.

Le clan des hauts fonctionnaires a confisqué le pouvoir.

En même temps, on a les dirigeants qu’on mérite.

[1] Rappelons que Hollande, Valls, Cazeneuve, Sapin, tous nos ministres, les deux-tiers des parlementaires, tous nos magistrats et tous nos dévoués bureaucrates sont des fonctionnaires. Le clan des fonctionnaires contrôle aussi les partis politiques, les syndicats et une partie de la presse.

 

Didier Picot
contact@vendonslesparisiens.com

Originaire du Pays Basque, Didier Picot est « monté à Paris » pour y faire ses études. Exilé volontaire, voyageur et intellectuel curieux, il a vécu et exercé son métier de négociateur international sous diverses latitudes, notamment en Europe, en Amérique et en Asie du Sud-Est. En 2005, il est revenu vivre au Pays Basque. Il est élu local.

1Comment
  • Samuel Subias
    Posted at 19:28h, 11 mars Répondre

    C’est hallucinant ! Faudrait en faire un film … à succès.
    J’ai écouté l’émission sur France Infos hier qui vous a donné la parole, « moi président », ou vous avez donné votre mesure phare face aux fonctionnaires.
    très intéressant, la vérité parle pour elle-même, Cela sonne juste.
    Je suis aussi originaire du Pays Basque expatrié en Haute-Savoie.
    Concernant ce sujet des fonctionnaires, faudrait en faire un 2ème livre. C’est en cours d’écriture ???
    Merci.

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